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Rencontre avec... Guillaume Féry et Denis Leclerc

Rencontre avec…  

Guillaume Féry, consultant en numérisation et expert de la ville connectée, et Denis Leclerc, président fondateur et chef de la direction d’Écotech Québec. Conversation sur le changement climatique, le changement culturel, le rôle des technologies numériques et comment les entreprises peuvent devenir leaders du progrès. 


Dans le grenier de sa maison à Lausanne, en Suisse, la famille de Guillaume Féry a récemment été confrontée à un dilemme classique : que faire d’une vieille console de jeu vidéo brisée à laquelle plus personne ne joue ? « Les enfants veulent s’en débarrasser, ma femme veut prolonger sa vie et se concentrer sur une fonction et je me demande si l’on peut investir pour la réparer », dit Guillaume Féry en riant. 

La carrière de Guillaume Féry est celle d’un ingénieur spécialisé depuis 20 ans dans l’usage des technologies au service de l’environnement dans de nombreux secteurs d’activité. Entre son travail avec des géants mondiaux du conseil et sa contribution personnelle à des initiatives sur le changement climatique, comme bénévole aux Nations Unies par exemple, Féry établit rapidement un parallèle entre ce genre de décisions apparemment mineures que les familles prennent chaque jour, et leur impact sur l'utilisation des ressources, ainsi que sur la façon dont nous consommons. Il s'intéresse particulièrement aux technologies numériques. 

« Les modes de production et de (sur)consommation associés à la forte croissance des usages numériques font peser un poids sur notre environnement. Leur contribution à l’émission de gaz à effet de serre n’est pas négligeable », dit Guillaume Féry. « Il faut en être conscient et adapter les choix qui guident nos comportements. C’est le moment d’agir de manière éclairée  avoir un impact positif. Le grand public doit avoir accès aux connaissances », insiste-il. « Ces grands sujets nécessitent l’adhésion de l’ensemble des parties, pas seulement des experts et des décideurs.  contre le changement climatique nécessite des actions à tous les niveaux et chacun doit jouer son rôle. La connaissance et l’appropriation commune du sujet est un prérequis à l’acceptation de changements sociétaux indispensables ».

Le changement climatique et le changement culturel vont de pair

Alors que le besoin réel des citoyens d’intensifier les efforts de lutte contre le changement climatique dans la vie professionnelle et dans la vie privée n’est pas nouveau, l’urgence du problème est sous-estimée. 

En janvier 2020, le rapport du Forum économique mondial sur les risques mondiaux (World Economic Forum Global Risks Report 2020) a placé les mesures manquantes de lutte contre le changement climatique en haut des priorités de son réseau de chefs d’entreprise, d’ONG, de leaders commerciaux, de chercheurs et d’autres collaborateurs du monde entier. Le changement climatique n’est pas seulement le risque numéro un en termes d’impact, mais également en termes de probabilité dans les 10 années à venir. 

En dépit de toute cette inertie, le monde a continué de tourner. La pandémie mondiale du COVID-19 a déclenché une crise sanitaire et économique aux proportions considérables. Alors que certains s’inquiètent que le dérèglement climatique gagne du terrain pendant que les pays, les entreprises et les citoyens s’affairent à survivre à la pandémie, Guilaume Féry se veut optimiste car la reprise économique est une opportunité post-COVID pour revisiter les modes de production de consommation et s’inscrire dès à présent dans une trajectoire bas carbone, moins centrée sur le profit que sur les dimensions sociales et environnementales. Justement : en août 2020, au moins 30 pays de l’OCDE et des pays partenaires clés avaient déjà soutenu des mesures prises pour la transition vers des économies décarbonées comme partie intégrante du plan de relance post-COVID-19.

Cet élan est accueilli à bras ouverts par Guillaume Féry qui affirme que la prochaine étape nécessite un changement culturel à tout niveau de la vie publique et privée : « Aujourd’hui, nous jouons cartes sur table. Entrepreneurs passionnés, liquidité et vision claire. Nous connaissons les enjeux. Nous avons des cadres et des accords de régulation. Mais des défis persistent ». 

Quels défis ? Un manque de consensus qui regroupe les parties prenantes autour de la mission centrale. Au Canada, Denis Leclerc, président et chef de la direction d’Écotech Québec, partage cette opinion. 

« L’idée d’une relance verte fait son chemin car elle est pertinente » explique Denis Leclerc. « Il ne s’agit pas seulement de notre secteur des technologies propres (cleantech) mais aussi des syndicats, des chercheurs et des entreprises, qui partagent également cet objectif. Les défis sont nombreux et de grande ampleur : nous n’y arriverons pas chacun de notre côté. Nous devons travailler ensemble. Nous devons bâtir des synergies pour être encore plus efficaces ».

Et il semblerait que cette situation perdure depuis des années. Après plus de vingt ans dans le secteur des ressources naturelles, Denis Leclerc a fondé la grappe des technologies propres du Québec, Écotech Québec, qui représente le réseau cleantech du Québec avec comme vision la promotion d’une province plus verte, plus saine et plus compétitive. Il prévoyait de mettre Écotech Québec sur pied et de retourner éventuellement dans le monde corporatif. Dix ans plus tard, il est toujours aux commandes, porté par des années de progrès et plus convaincu que jamais que la lutte contre le changement climatique doit passer par la transformation positive de l’économie. 

« Nous avons besoin de changements dans plusieurs secteurs de la société et nous commençons à en voir les couleurs », dit Denis Leclerc. Selon lui, un rapport récent indiquant que le Québec a les taux de production de gaz à effet de serre (GES) les plus bas du Canada résonne sur le marché. Les entreprises et les organisations perçoivent de plus en plus les bénéfices - pas seulement économiques - de leur investissement. 

Les faits parlent d’eux-mêmes et cet élan peut entraîner les parties prenantes à générer un vrai changement. Guillaume Féry et Denis Leclerc font tous deux référence à la richesse de l’information et de la désinformation sur « les bons et les mauvais éléments » de réflexion pour mieux comprendre non seulement ce qui cause le changement climatique mais également ce qui le réduit.

« Une partie de la jeunesse distribue les bons et les mauvais points : le secteur du transport aérien est vu comme un ennemi pour la planète mais on s’enflamme à la sortie des derniers gadgets 5G. Des investisseurs glorifient les courbes de ventes trimestrielles records de nouveaux smartphones », indique Guillaume Féry, « mais trop peu de personnes comprennent les réelles conséquences de nos modes de vie sur les ressources naturelles, la production de gaz à effet de serre et, plus généralement, l’impact environnemental de nos choix quotidiens ». 

Un modèle descendant avec des indicateurs plus clairs peut stimuler le genre de changement culturel nécessaire pour avoir un impact significatif dans cette lutte. Des conversations sur le nucléaire en France aux discussions sur les émissions carbones des chaînes de montage de véhicules électriques en Allemagne, ce débat n’est pas près de toucher à sa fin. 

« On promeut des voiture « propres », mais dans le cycle de vie du produit, les choses sont plus complexes », explique Guillaume Féry. « Quand vous poussez la réflexion, vous vous rendez compte que ce n’est peut-être pas si blanc mais pas si noir non plus. Peut-être que c’est gris ». 

Toutefois, Guillaume Féry et Denis Leclerc s’accordent sur le fait que la clarté des propos est absolument primordiale. Une vision claire est nécessaire, accompagnée de plus grandes collaborations d’entreprises et de consommateurs qui démontrent leur volonté de pousser et d’alimenter un changement culturel pour des actions à tous les niveaux amorçant un impact durable sur le climat. Il s’agit de récompenser au lieu de réprimander ; montrer l’exemple au lieu de donner des leçons.

“Le défi de l’éducation et de la communication est présent. Nous devons nous assurer que les gens comprennent quels sont tous les bénéfices qu’ils tireront de cette évolution », insiste Denis Leclerc. 

Notre société a besoin d’images, d’ambassadeurs et d’influenceurs sur ce terrain. Ce genre de message peut prendre toutes les formes. Sadio Mané, footballeur renommé de Liverpool FC, a fait sensation après avoir été photographié alors qu’il utilisait son smartphone malgré son écran cassé. Mané, connu pour son côté philanthrope, a fait les gros titres pour ne pas avoir besoin de l’outil le plus récent que son argent puisse acheter. Le comportement d’un influenceur qui allie durabilité et qualité de vie et même santé publique pourrait être le catalyseur de l’agenda climatique. Tout le monde doit contribuer. Même s’il n’y a pas de solution miracle, Guillaume Féry et Denis Leclerc confirment que les entreprises peuvent très bien contribuer, qu’il s’agisse d’ouvrir la voie ou d’encourager les autres à suivre le mouvement. 

De quelles façons les entreprises, les consommateurs et les gouvernements peuvent collaborer pour être moteur du changement culturel ? 

  1. Les engagements pris par les entreprises doivent être spécifiques. 

Ce n’est plus suffisant que de promettre un bilan carbone neutre. Il est temps pour les entreprises de rendre compte de ce que leurs engagements signifient concrètement. « À l’heure d’aujourd’hui dans le monde, 1 500 entreprises à 12 milliards de dollars de revenu s’engagent à un bilan carbone neutre. C’est un fait plus concret que ce qu’elles promettent », explique Guillaume Féry. Il souligne l’importance de la transparence des mesures spécifiques prises par les entreprises et d’une stratégie de communication générale qui relie les mesures à des vrais retours sur investissement pour les parties prenantes internes comme externes. « Il faut exposer ou démontrer ce que vous entreprenez et cela doit être simple et crédible. Sinon, en perdant votre crédibilité, vous réduisez par conséquent vos accès [aux financements] », souligne Denis Leclerc.


  1. Les modèles commerciaux doivent changer.

L’adoption ou même l’invention de nouveaux business modèles affranchis de l’ère de l’obsolescence programmée peut lancer un effet domino gigantesque sur le marché. Les entreprises qui arrêtent d’essayer de verdir leurs stratégies préexistantes et commencent à intégrer dans leurs stratégies des produits éco-conçus, robustes dans le temps et recyclables peuvent jouer un rôle essentiel pour alimenter l’économie fonctionnelle dont notre planète a tant besoin. « Si l’on considère la cleantech comme un service, ce modèle commercial est en plein essor », dit Denis Leclerc, encouragé par l’élan pris par les technologies propres du Québec. Denis Leclerc affirme que nous pouvons maximiser les bénéfices en brisant les silos et en s’assurant que les entreprises et les pays n’innovent pas isolément. Les acteurs devraient plutôt observer le travail des autres et se demander : quel partenariat serait intéressant avec eux ? 


  1. Les citoyens doivent faire partie de la solution.

Les étudiants et les employés font attention à l’impact écologique de leur organisation. En 2019, Fast Company a indiqué qu’environ la moitié de tous les participants à une enquête (et 75% de milléniaux) accepteraient une baisse de leur salaire si leur entreprise était écoresponsable. Environ 70% faisaient un lien direct entre la stratégie durable de leur entreprise et leur envie de continuer de travailler avec cette entreprise à long terme. Il s’agit d’une opportunité double pour les entreprises : non seulement prendre les bonnes décisions mais également impliquer leurs employés dans leur programme de durabilité. « Dans l’évolution d’une entreprise, il est très coûteux de recruter du personnel.  Il faut donc trouver des façons d’accroitre la rétention et une méthode est de rendre les employés fiers de la façon dont leur entreprise lutte pour le climat et la protection de l'environnement. Impliquez-les dans la solution » conseille Denis Leclerc. Alors que les parties prenantes et les investisseurs redéfinissent la valeur à long terme, ce genre d’engagement prend encore plus d’importance. Un aperçu rapide des Employeurs les plus verts du Canada regorge d’innovation allant des bâtiments « smart » aux ruchers sur les toits. « Les entreprises doivent s’assurer que les facteurs extra-financiers soient aussi communiqués à leurs fournisseurs, consommateurs, parties prenantes ainsi que à leur personnel ». Selon Denis Leclerc, ceci est essentiel. 

Un début d’optimisme pour 2021 

Quand il pense à l’avenir, Guillaume Féry est enthousiaste. « Nous vivons dans un monde dans lequel la connaissance est massivement accessible et de nombreux outils et méthodologies sont largement à disposition. C’est notamment le cas de l’impact environnemental et du changement climatique. Nous connaissons les grands pollueurs mais montrer du doigt les bons et les mauvais élèves est un peu injuste. Les compagnies aériennes ont beaucoup à faire mais elles ne sont responsables que de 3% des émission de GES. Peut-être devrions-nous leur accorder davantage de confiance et de temps pour s’adapter. Chacun doit se mettre en mouvement pour se réinventer – parfois radicalement ».

Nous en revenons à la famille Féry qui, penchée sur cette console, se demande si c’est l’envie ou le besoin qui déterminera leur prochaine décision. Qu’ils soient au niveau du consommateur individuel ou au niveau d’entreprises mondiales, ces choix sont plus connectés que jamais. C’est la même conversation dans la maison Leclerc, où Denis et son voisin ont réfléchi très longtemps l’été dernier avant d’acheter une nouvelle tondeuse ensemble pour remplacer leurs modèles vieillissants. La solution au changement climatique ne se trouvera pas en un jour : elle se fera en accumulant les décisions individuelles et collectives à tous les niveaux et tous les aspects de notre vie.

« Cela ne sert à rien d’essayer d’être écolo si l’on n’intègre pas ces gestes dans notre vie quotidienne ». Guillaume Féry n’a pas tort.



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