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SIA générative et productivité : démêler le faux du vrai

De nombreux rapports soulignent l’impact des systèmes d’intelligence artificielle générative (SIA géné) sur la productivité. De fait de nombreux acteurs sont désormais convaincus de l’effet bénéfiques des SIA géné. Pourtant, derrière les espoirs que ces technologies suscitent et l’apparente évidence de l’affirmation de ces gains, se terre une complexité qui interroge ce présupposé qui semble s’ancrer dans les esprits.

Selon une étude d’Harvard publiée en septembre 2023, les SIA générative pourraient certes permettre un accroissement de 40% de la productivité, mais, précisions importantes, pour les profils hautement qualifiés et à condition toutefois que le système d’IA générative, en l’occurrence GPT-4, soit utilisé pour des tâches entrant dans ses capacités et que les personnes concernées soient formées à son utilisation. Cet accroissement de productivité concerne, par ailleurs, les tâches créatives relatives à l’innovation. A contrario, le recours à GPT-4 pour la résolution de problèmes d’entreprise conduit à une baisse de performance de 23%.

Une autre étude conduite en avril 2023 (révisée en novembre de la même année) par le MIT et Stanford, démontre que la productivité des employés du service client d’une entreprise de services numériques (basés aux Philippines), avait bondi de 14% en moyenne grâce à l’IA générative, soulignant que les employés les moins qualifiés en étaient les principaux bénéficiaires avec une augmentation de 34% de leur productivité. L’étude conclut que si l’accès aux SIA géné permet de dynamiser la productivité, l’accroissement est cependant très hétérogène parmi les employés.

Enfin, en janvier 2024, Barclays Research et IBM Institute for Business Value, publiait une étude affirme qu’il y a « de bonnes raisons d’être optimiste quant au potentiel des IA géné pour stimuler la croissance », a condition de créer un environnement propice sur le plan des politiques et des réglementations au niveau de l’entreprise elle-même, d’un secteur industriel ou des régulateurs. Par ailleurs, le document souligne que ces technologies pourraient potentiellement générer des gains de productivité si les travailleurs se tournaient vers des secteurs de services. De manière générale, les gains éventuels sont conditionnés à de nombreux facteurs tels que les politiques, les normes, les coûts, les compétences des collaborateurs, la gestion du temps, ou encore l’utilisation des SIA géné « comme complément au travail plutôt que comme substitut ».

On le voit, derrière l’affirmation largement répandue de l’accroissement de la productivité induit par les SIA géné, se cache un sujet vaste et complexe qui nécessite une réflexion approfondie. Sortir du bruit ambiant est crucial pour éviter aux structures privées comme publiques de s’engager dans des politiques qui pourraient s’avérer dangereuses.

Les études citées ci-avant, et bien d’autres, n’affirment pas la factualité des gains de productivité à attendre, mais les envisagent en termes de potentiels soumis à des conditions particulières qu’il est essentiel de considérer avec attention. Aborder le sujet de manière trop générale revient à ignorer les conditions nécessaires à ces potentiels gains, et donc à placer le débat à un niveau d’abstraction inadapté aux spécificités des entreprises.

Plusieurs enseignements doivent donc être tirés de ces études pour pouvoir envisager sereinement et sérieusement les gains de productivités liés aux SIA géné.

●      Tout d’abord, la productivité ne peut être réduite à sa dimension gain de temps. La productivité est une notion complexe qui inclut certes une composante temps, mais aussi les ressources disponibles/nécessaires, la qualité de la production autant que la quantité produite, le rapport entre ressources engagées et résultat obtenus, un travail comparatif pour mesurer le gain réel généré, l’analyse de performance et bien d’autres facteurs. Pour évaluer les potentiels de gain de productivité il est donc essentiel de partir d’une définition solide de la productivité.

●      Les gains de productivités potentiels des SIA géné ne sont pas homogènes pour l’ensemble des utilisateurs, des secteurs d’activités, des pays, des fonctions des entreprises, des cas d’usages, des tâches à accomplir, ni des SIA géné eux-mêmes. Un SIA géné utilisé pour des tâches pour lesquelles il n’est pas spécifiquement adapté ou par des utilisateurs non formés, pourrait nuire à la performance et donc à la productivité.

●     Nous n’avons pas assez de recul pour prétendre trancher le débat sur les gains de productivités potentiels attribués aux SIA géné, à plus forte raison si la question se pose de manière absolue. La potentialité est donc hypothétique à ce stade et repose sur des éléments souvent éparses sans cohérence entre eux.

●     Parler de gains de productivités des SIA géné, revient à placer le débat à un niveau d’abstraction trop élevé, empêchant une compréhension et une analyse pertinente du sujet.

●     Les gains de productivités potentiels des SIA géné ne doivent pas occulter les effets de bords sur les compétences, sur la charge mentale de certaines catégories de professionnels, la perte de créativité et donc l’impact sur l’innovation, les coûts induits, ou encore les évolutions de carrières.

Au final, il semble prématuré d’affirmer que les SIA géné permettront un gain de productivité. L’enthousiasme autour de ces outils et de leur potentiel ne doit pas interdire une réflexion plus approfondie sur les impacts positifs et négatifs de ces systèmes sur les résultats des entreprises, mais aussi sur les travailleurs eux-mêmes.

Un manque de réflexion pourrait conduire à des effets de bords importants, susceptibles à terme de produire un effet contraire à celui espéré. En postulant la réalité des gains de productivité dus aux SIA géné sans avoir pris le temps de les étudier sérieusement dans toutes leurs dimensions, les entreprises prennent le risque de se fixer des objectifs utopiques et de mettre en place des stratégies inadaptées, si ce n’est contreproductives.

Pour éviter ces erreurs qui pourraient s’avérer coûteuses, il est donc essentiel de :

●     Partir d’une définition solide de la productivité.

●      Mettre en place des processus d’évaluation précis.

●      Anticiper les coûts tant financiers qu’en termes d’organisation interne, et les problématiques normatives (éthiques et juridiques).

●     Déterminer précisément les cas d’usages et les tâches pour lesquels un SIA géné est pertinent.

●     Former les collaborateurs à l’utilisation des SIA géné déployés au sein de l’entreprise.

●      Choisir soigneusement les SIA géné pertinents.

●     Mesurer les impacts négatifs potentiels tant de l’utilisation des SIA géné que d’une politique de productivité notamment sur la santé mentale des collaborateurs.

 

 

 

Pour aller plus loin

Meredith Somers. How generative AI can boost highly skilled workers’ productivity. MIT Management Sloan School, October 19, 2023. https://mitsloan.mit.edu/ideas-made-to-matter/how-generative-ai-can-boost-highly-skilled-workers-productivity

Fabrizio Dell’Acqua et al. Navigating the Jagged Technological Frontier: Field Experimental Evidence of the Effects of AI on Knowledge Worker Productivity and Quality. Harvard Business School Technology & Operations Management Unit Working Paper No. 24-013.September 27, 2023. https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4573321

Erik Brynjolfsson, Danielle Li, and Lindsey R.Raymond. Generative AI at Work. National Bureau of Economic Research Working Paper Series, Working Paper 31161.April 2023, revised November 2023. https://www.nber.org/papers/w31161

Christian Keller et al. AI revolution: productivity boom and beyond. Barclays Research with IBM Institute for Business Value, Impact Series 12, January 11, 2024. https://www.ib.barclays/our-insights/AI-productivity-boom.html

Rhys Fisher. Klarna Claims Its New AI Assistant Does the Work of 700 Full-Time Agents. CXTODAY, February 29, 2024. https://www.cxtoday.com/contact-centre/klarna-claims-its-new-ai-assistant-does-the-work-of-700-full-time-agents/

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