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Déconfiner l'humain - Éric Salobir

Plus qu’à « La peste » d’Albert Camus, la situation actuelle me fait penser à « La guerre des mondes ». H. G. Wells y décrivait, en1898, l’invasion de la Terre par des martiens à la supériorité technologique incontestable. Des martiens finalement vaincus par un banal virus bien terrestre... Entendons-nous. Je ne crois pas, comme le pensent certains écologistes radicaux, que nous envahissions notre propre planète, laquelle se défendrait avec le Covid-19. Mais je crois en revanche que nous vivons aujourd’hui une guerre des mondes, ou pour être plus précis une guerre entre des mondes. Non seulement parce que la métaphore guerrière a envahi tous nos médias mais surtout parce que nous voyons se dessiner de nouvelles lignes de fracture et d’inégalités : entre les télétravailleurs, les chômeurs et ceux qui vont au boulot la peur au ventre. Entre les aînés, plus exposés au virus et les plus jeunes qui semblent être mieux protégés ; entre ceux qui ont pu se confiner confortablement et ceux qui ne le pouvaient pas ; entre les hyper-connectés et ceux qui sont encore plus isolés que d’habitude, du fait de la fracture numérique. Entre ceux pour qui la technologie conduit à une société de surveillance accrue et ceux qui y voient, au contraire, un outil de communication, de solidarité et au bout du compte de liberté.

Je pourrais égrener d’autres oppositions, mais le fait est que nous ne sortirons pas de cette crise la leur entre les dents, prêts à reprendre notre vie d’avant, comme si de rien n’était. Il y aura certainement du soulagement, sans doute de la joie et aussi de l’espérance. Mais il y aura du deuil, il y aura du ressentiment et il y aura de la défiance : lorsque la pandémie sera, sinon vaincue, du moins sous contrôle, viendra l’heure des comptes, voire des règlements de comptes.

Parmi les enseignements post-crise, je soulignerais :

Premièrement celui de nos limites : pensez qu’il y a encore trois mois, on pouvait gloser sur l’immortalité à portée de neurones et imaginer que la mort, au moins sous nos latitudes, était tenue à distance raisonnable. Aseptisée et invisible, ou presque. Et voilà qu’avec l’irruption de ce virus, la mort a fait un retour fracassant dans notre quotidien.

Deuxièmement celui de la place attribuée à l’humain : certains sont déjà en train de réfléchir à la façon d’utiliser la machine pour remplacer, dans leurs organisations, celui qui fait figure de maillon faible. D’autres, au contraire, ont fait le constat, en quelques semaines, que l’homme est certes fragile mais indispensable. Et que des métiers peu considérés et par avance voués à la robotisation sont salués pour le courage de ceux et celles qui les pratiquent !

Troisièmement, celui du rôle et du pouvoir qui va avec nos nouvelles technologies, que ce soit dans le domaine de la surveillance ou de l’utilisation des données, en recherche médicale ou dans le confinement de la population : nous ne pouvons plus faire l’économie d’une réflexion sur le fait que notre « monde technologique » a progressivement acquis, et de manière exponentielle, sa propre autonomie, déployé ses propres logiques, et déterminé, au moins pour partie, le contexte même de l’exercice de la raison humaine. Or, en bon humaniste, je crois que la technologie est un outil extraordinaire, bon serviteur mais mauvais maître !

Cette terrible crise peut nous aider à prendre conscience que nous avons à choisir entre deux mondes : dans le premier, nous laissons les technologies que nous créons façonner en retour notre société, en faisant le pari - à mon sens voué à l’échec - que l’innovation est toujours un progrès et qu’elle assurera éternellement la croissance. Dans le second, nous mettons ces technologies au service d’un projet de société mûrement réfléchi, en évaluant au mieux leur impact.

L’utilisation des données personnelles et de santé, ainsi que l’usage de l’intelligence artificielle sont au cœur de ce projet. En la matière, l’urgence nous amène à ouvrir un certain nombre de boîtes de Pandore, par définition difficiles à refermer. Cette crise en témoigne, nous sommes fragiles. Nos voix sont fragiles. Mais nous pouvons partager du sens. « La grandeur de l’homme, écritBlaise Pascal, est grande en ce qu’il se connaît misérable ». Notre fragilité est aussi notre force !

 

Eric Salobir, Président de Human Technology Foundation

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