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États-Unis et Union européenne : Une réglementation commune sur les actifs numériques ?

Peut-on envisager une réglementation commune lorsque les intérêts défendus divergent ?

Les crypto-actifs constituent une véritable révolution. En supprimant les intermédiaires, ils facilitent grandement les paiements et ouvrent aussi de nouvelles perspectives économiques, notamment à travers les NFT (Newsletter sur les jetons-non-fongibles).

Cela ne va pas sans bousculer les institutions et les entreprises bancaires et financières, qui poussent pour encadrer ces actifs. Les enjeux soulevés sont multiples : leur caractère hautement volatil, les usages frauduleux, leur empreinte environnementale (Newsletter sur l’empreinte environnementale de la blockchain) … 

Pour schématiser, deux projets majeurs sont en jeu. D’un côté, l'Union européenne (l’UE), met l'accent sur la protection du consommateur, et de l’autre, les États-Unis semblent avant tout soutenir l'innovation. Il existe ainsi une forte tension entre la protection des consommateurs et la compétitivité du secteur des crypto-actifs. 

Certains dirigeants de l'Union européenne, comme la commissaire européenne, Mairead McGuinness, ont avancé l'idée que l'UE et les États-Unis devraient élaborer un cahier des charges commun sur la réglementations des crypto-monnaies. Cette approche viserait à aligner les réglementations américaine et européenne. Mais, cette proposition est-elle viable ? Quelles sont les contraintes de part et d’autre ? Alors que le marché est principalement dominé par des acteurs américains, comment protéger l'écosystème européen ? 

Pour éclairer ces questions, Faustine Fleuret, Présidente et CEO de l'Association pour le développement des actifs numériques, Lee Reiners, Directeur Général du Centre financier de l’Université de Duke et Hubert de Vauplane, Avocat qui dirige l'équipe FinTech de Kramer Levin LLP (Paris) nous livrent leurs éclairages. Regarder le webcast sur la réglementation des crypto-monnaies. 

1. Des stades de réflexions différents 

Pour coordonner les approches, la proposition de la commissaire européenne, Mairead McGuinness souligne quatre pré-requis :

  • consacrer le fait qu'aucun produit ne reste non-réglementé
  • les autorités de surveillance devraient collecter et échanger des informations à l'échelle mondiale
  • tout accord doit protéger les investisseurs de détail
  • l'écosystème des crypto-monnaies devrait intégrer pleinement les considérations environnementales.

Mairead McGuinness, Commissaire européen aux Services financiers
                                                                             

Encore faut-il que ces deux puissances partagent ces principes. Aujourd’hui, on observe qu’entre les États-Unis et l’Union européenne, les projets de régulation varient fortement, et ils ne protègent pas les mêmes intérêts. 

"En théorie, il serait préférable d'avoir une réglementation unique et globale, mais je pense qu'on en est encore trop loin en raison des différences d'approches et de définitions." affirme Hubert de Vauplane

L'UE est l'une des premières grandes institutions à proposer une réglementation complète pour les crypto-actifs, notamment à travers les projets de règlements "Market in Crypto Assets" (MiCA) et la refonte du Règlement (UE) 2015/847, qui vise à étendre les règles relatives aux informations accompagnant les transferts de fonds à certains crypto-actifs (TFR). La portée de ces textes est large. Ils traitent des enjeux allant des risques de stabilité financière à la protection des consommateurs. Ils incluent également les règles de blanchiment d'argent.

On observe une réelle volonté de la présidence française du Conseil de l’Union européenne d’avancer rapidement sur ce sujet. Dès juin 2021, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, avait plaidé pour que l’Europe mette en œuvre rapidement un cadre réglementaire autour des monnaies numériques et des crypto-actifs, afin d’éviter un affaiblissement du rôle international de l’euro. Les deux textes devraient entrer en vigueur à la fin de l’année. 

En parallèle, aux États-Unis, le président Joe Biden a demandé à son administration d’étudier le projet d’émission d’un dollar numérique par un décret publié le 9 mars. Ce texte énonce la volonté de réguler ce sujet au niveau fédéral. Toutefois, la portée du texte ne peut être comparée aux réglementations européennes, car le texte n’est pas contraignant. Il n’exprime pas clairement quelle agence devrait s'emparer du sujet. Ainsi, de nombreuses organisations (FED, SEC, FTC etc.) sont en concurrence pour être l'autorité tutélaire de cette régulation. Pour y remédier Lee Reiners indique qu’il serait nécessaire que le Congrès coordonne cette démarche. 

Avec du recul, il est difficile de comparer les ambitions européennes et américaines en matière de régulation des crypto-actifs.

2. Les définitions ne sont pas les mêmes 

Hubert de Vauplane, souligne que la définition des ''securities“ (titre financier en français) est très différente de celle retenue au niveau européen. Par exemple, au sein de l’Union européenne, les produits dits “dérivés” sont régulés au même titre qu’un investissement financier alors que ce n’est pas le cas aux États Unis. A ce jour, les plateformes telles que Kraken ou Binance ne sont pas reconnues comme une plateforme d’investissement aux États-Unis. 

Aussi, au sein de l’UE, l’application du principe de protection des consommateurs varie en fonction du domaine auquel il s’applique et notamment s’il s’agit ou non d’une activité financière. De facto, la qualification du bien ou du service en tant qu’actif numérique impacte directement sur l’application et le périmètre de ce principe. Après se pose la question de savoir si cela fait du sens de dupliquer le système de protection des consommateurs du modèle des services financiers à tous les actifs numériques sans distinction.

"Tous les crypto-actifs ne peuvent pas être assimilées à des actifs financiers [...] Nous devrions vraiment nous assurer que le champ d'application de MICA n'inclut pas des cas d'utilisation qui n'ont rien à voir avec la réglementation financière". Faustine Fleuret.

3. Les acteurs de l'industrie n'ont pas le même poids et n'agissent pas de la même manière

Le marché de crypto-actifs se passe en grande majorité sur des plateformes américaines et asiatiques. En revanche, en Europe, l'écosystème est principalement représenté par de jeunes entreprises.   

Top 10 des plateformes d'échange de cryptomonnaies en 2022

En matière de régulation des activités numériques, la méthodologie défendue depuis quelques années est le principe de “même activité, même risque, mêmes règles”. Le risque de cette méthodologie est de bloquer ou freiner l’activité pour les nouveaux entrants. Cette question s’est notamment posée dans le cadre de la mise en œuvre du  règlement général sur la protection des données (RGPD). Se pose alors la question de la mise en place de bac à sable réglementaire, dont pourraient notamment bénéficier les nouveaux entrants, pour ne pas pénaliser l’innovation. 

Hubert de Vauplane souligne que “les plus jeunes structures n'ont pas de forces de frappe équivalentes aux gros acteurs en termes de lobbying”. Les plus grands acteurs ont désormais une influence indéniable.

L’approche retenue aux États-Unis semble disposer de plus de flexibilité vis-à-vis de certains acteurs, mais également en fonction des thématiques. Par exemple, aujourd’hui, les stablecoins connaissent des règles plus souples que les autres actifs.

4. Quand bien même le texte serait le même, comment en garantir son application  ? 

Le numérique est un monde nouveau, où des acteurs ont des pouvoirs exceptionnels et une force de frappe mondiale. Si la régulation du numérique ne passe pas par des diagnostics précis des enjeux économiques des entreprises en cause, la mise en œuvre des règles ne peut être efficace. Pour ce faire, des moyens humains, techniques, financiers importants sont requis. 

Garantir la mise en œuvre des règles est déjà très complexe au niveau européen. Cette question s’est également posée dans le cadre du Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA).Ainsi, pour garantir une application uniforme, il faudrait que les deux puissances investissent les mêmes moyens dans la répression de la fraude et la garantie du respect des normes. 

De plus, aux États-Unis on observe également une grande disparité en fonction des États. Si certains État tels que New York sont réputés commes stricts - ils ont développé en 2015 le système BitLicense, c’est-à-dire une licence commerciale pour les activités liées aux monnaies numériques - d'autres, tels que le Wyoming, propose des lois très favorables au secteur des crypto-monnaies. Dans ce contexte, comment garantir qu'une loi fédérale soit bien appliquée sur tout le territoire ?

5. Enfin, est-ce que c'est même souhaitable ?

En principe, il serait favorable de développer une approche coordonnée face à ces acteurs mondiaux. Toutefois, face aux différences des projets en cours, une approche globale des crypto-actifs semble difficilement envisageable. La Banque des règlements internationaux (BRI) cherche néanmoins à produire une pensée coordonnée sur certains sujets, qui semblent plus propice.Par exemple, la Banque des règlements internationaux a publié le 6 octobre 2021 un rapport à destination des autorités de régulation. 

De plus, les États-Unis et l'Union européenne ne sont pas les seuls dans cette course des monnaies numériques. Des pays tels que les Emirats Arabes Unis développent une réglementation favorable pour attirer les capitaux de l’industrie crypto. Les premières réglementations pour le secteur des actifs numériques y ont été établies en 2018. Plus récemment, le 9 mars 2022, Dubaï a adopté une nouvelle loi un texte qui vise à la création d'une autorité de régulation et d'octroi de licences, la Dubai Virtual Assets Regulatory Authority (VARA). Au cours des derniers mois, les plus grosses plateformes de crypto-monnaies en termes de volume d’échanges (Binance, FTX et Kraken) se sont installées dans le Golfe. Comment établir des standards mondiaux en tenant compte de la présence des ces acteurs qui se définissent comme un “hub” des crypto-actifs ? 

Dubaï

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